Assis à l'ombre le long de la route à Checacupe, nous attendons le prochain bus public pour Sicuani. Il est difficile de mettre des mots sur l'impression de pauvreté, délabrement et d'abandon que nous a laissé cette bourgade en bord de route. Nous patientons en donnant une seconde chance à la spécialité locale, la truite frite accompagnée de riz et pommes de terres. Une deuxième fois je ne la valide pas, il faut dire que l'extrême saleté de la cuisine n'inspire pas confiance !
La suite déroule à merveille, une improvisation parfaitement rodée. Nous commençons à comprendre comment fonctionne le Pérou. À Sicuani, nous changeons de terminal, dix minutes de marche et plutôt que de prendre un bus de grande ligne, nous attrapons un colectivo pour Juliaca. À peine arrivés, déjà partis. Les sacs sont chargés sur le toit et nous nous entassons à seize dans un minibus. Nous quittons la région de Cuzco par un col et rentrons dans celle de Puno. C'est la ligne de partage des eaux. D'où nous venons, elles coulent dans la vallée sud puis dans la vallée sacrée, passant Pisac, Urubamba, Ollantaytambo, le Macchu Picchu, puis poursuivant leur long voyage vers la forêt amazonienne, avant de rejoindre l'Atlantique. Là où nous allons, elles descendent les hauts plateaux, y ont creusé de profonds canyons et iront se jeter dans le Pacifique. Les hautes montagnes laissent place à des collines, puis les collines à de vastes plaines. À 3800m, nous roulons vers le sud en traversant des steppes d'altitude, à l'herbe jaunie par la sécheresse. Ce ne sont plus seulement des lamas qui y broutent, mais aussi des vaches de couleur taupe. En quelques dizaines de kilomètres, nous avons totalement changé d'environnement.
Juliaca, nous traversons une affreuse zone d'urbanisation. Les lots en construction sont mis en vente, il n'y a pas de routes, pas de fenêtres ni de portes aux minuscules maisons en parpaings. Les barres de fer dépassent de tous les toits. Et pourtant, au milieu de cette zone fantôme, certains ont déjà emménagé. D'un portail entrouvert, des enfants sortent au milieu de cet immense chantier. Quelques commerces se sont installés, essentiellement des ferreteria, mini-markets, bodeguitas, cementeria. L'ensemble, rouge et poussiéreux, sent la misère. Au passage d'un pont, nous apercevons des femmes et enfants dans le fleuve en train de faire leur lessive. Certains ont garé leurs voitures sur les berges sèches pour venir accomplir cette tâche familiale. Juliaca est un véritable bordel à ciel ouvert. Le pire que l'on ai vu depuis le début du voyage. Les rues sont blindées de voitures, le monde s'agglutine sur les trottoirs, l'air est gris et pue la pollution. Je propose à Béa de changer nos plans et d'y rester dormir, elle refuse catégoriquement. Surprenant ! Au centre, nous nous faisons guider jusqu'au prochain terminal par un péruvien de notre trajet. Merci à lui, sans ça nous aurions eu du mal. Nous montons dans un nouveau colectivo, il n'attendaient plus que deux personnes, c'est parfait, on est déjà reparti. Transition de cinq minutes, il ne reste plus que quarante-cinq kilomètres pour arriver à Puno.
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