Le soleil se lève sur le désert et les montagnes environnantes de la petite ville de Nazca. Trente mille habitants. Dans les rues, autour, un concert d'aboiements. Meutes de chiens errants et domestiques se répondent, certains en bas sur les trottoirs, d'autres sur les toits plats non-finis d'où sortent des barres de fer, d'autres des fenêtres de maisons. Des vendeurs parcourent la rue au guidon de leur vélo-remorque, contenant des patates cachées sous des draps blancs, klaxonnant sans cesse jusqu'à ce que parfois un habitant sorte. Il est 7h, Nazca s'éveille.
À 10h, nous rencontrons Arturo. Il est guide touristique et nous emmène ce matin visiter les tombes et momies de Chauchilla. À Nazca, une civilisation éponyme datant de deux millénaires s'était installée en plein milieu du désert, le long de fleuves souvent asséchés en surface, mais où l'eau coule en sous-sol. C'est toujours le cas, et encore aujourd'hui chaque maison à un puits avec une pompe de relevage pour remplir une citerne placée sur le toit. Revenons aux Nazcas. Ils reste de leur passage des temples en brique d'adobe, les fameuses lignes, des tombes. À quelques kilomètres au sud de la ville actuelle, ils ont ouvert le sol pour y enterrer momifiés, genoux pliés contre le buste et bras croisés autour, une poterie retournée sur la tête, des hommes, femmes et enfants des classes supérieures de cette société. Comme souvent, les morts étaient accompagnés d'offrandes, poteries et objets leurs étant utiles dans l'au-delà. Malheureusement comme souvent aussi, les pillages ont précédé les archéologues, et très peu d'originaux subsistent ici, dans un site qui reste étonnamment peu protégé. Aucune barrière ne ferme le site ni les tombes, les momies sont là, simplement protégées du soleil par un toit de branches séchées. Preuve de l'irrespect commun, Arturo nous précise qu'il est interdit de descendre dans les fosses pour prendre un selfie avec les morts. Mais quelle idée !
Midi, les rues agitées de Nazca sous un soleil qui tape et une température qui grimpe. Toujours ces boutiques en tout genre, ces ventes dans la rue au mégaphone. La multitude de taxis semble s'expliquer par le fait que beaucoup de Péruviens n'ont pas de voiture. Des files de taxis attendent donc aux endroits stratégiques, dans les rues commerçantes, aux croisements principaux, et appellent les passants de coups de klaxons frénétiques. Souvent même, ils attendent que le taxi se complète d'autres personnes pour optimiser et rentabiliser.
Depuis le haut de la tour métallique au milieu du désert, nous contemplons les dessins tracés sur le sol. En écartant les pierres rouges, les Nazcas ont dégagé la roche plus blanche et ainsi imprimé pour deux mille ans des formes uniquement visibles depuis le ciel. Au sol, rien ne laisse deviner qu'elles sont là. Il faut prendre de la hauteur pour les voir. Ainsi, le lézard que nous regardons a eu la queue coupée par la route panaméricaine lors de sa construction, bien avant la découverte des figures lors d'un survol en avion. Comment les hommes de cette ancienne civilisation ont-ils pu tracer des figures aussi grandes de manière aussi parfaite ? Pourquoi le faire ainsi alors qu'ils ne pourraient pas en profiter, n'ayant aucun point de vue à proximité ?
Autour, les lignes de Nazca conservent leur mystère quant à leur usage. Chemins de passage ? Rites à Pachamama, à la montagne et au soleil ? Calendrier solaire ? Certaines pointeraient exactement à l'endroit où se couche le soleil lors des solstices et équinoxes. Leur rectitude est parfaite sur plusieurs kilomètres, ce qui laisse tout autant interrogatif sur leur réalisation.
Au musée de Maria Reich, qui a dédié sa vie aux géoglyphes de Nazca, nous rencontrons une classe de collégiens de douze ans, venus en visite d'Ayacucho. Très rapidement, nous devenons le sujet d'intérêt principal, voire l'attraction. Les enfants se pressent et nous entourent, nous voilà en quelques minutes complètement submergés de questions, de sourires. Ils veulent savoir d'où nous venons, comment nous nous appelons, comment est la France. Ils sont fascinés par mes cheveux, mes yeux, notre couleur de peau. Ce n'est pas de la fierté ni de l’ego que nous ressentons à être admirés ainsi, mais plutôt une joie indescriptible de voir ses enfants si curieux et souhaitant nous connaître. Les parents d'élèves et les professeurs accompagnent les jeunes ados, pour qu'ils puissent chacun avoir une photo avec nous.
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Réveil matin 3h45. Doux souvenir des journées d'alpinisme cet été. Malgré la fatigue je suis content, j'aime me lever à l'aube. Me réveiller de nuit me donne toujours l'impression que je pars faire quelque chose d'exceptionnel. Arturo nous attend dehors à 4h30 avec un taxi. Il conduit aussi des groupes sur le Cerro Blanco, pour le descendre ensuite en sandboard. Nous avons choisi hier de partir avec lui pour grimper en haut de la deuxième plus haute dune du Pérou, troisième du monde ! Je ne suis pas très inquiété par l'ascension, mais cela rassure Béatrice. Tout compte fait, il est sympathique, et puis je suppose qu'il connaît les bons endroits pour descendre dans le sable. Ça me déleste de l'organisation, pour la première fois de ma vie je vais prendre un guide, je profiterai pleinement de la journée en achetant la paix des ménages !
Quarante minutes de route plus tard, le taxi nous arrête dans une épingle du col au nord du Cerro Blanco. Le ciel rosi à l'est des premières lueurs du jour. Ici au mois de Novembre dans l'hémisphère sud les jours rallongent, on approche de l'été. Et plus proche de l'équateur, la durée des jours varie moins d'une saison à l'autre. Étant donné notre longitude et notre position dans le fuseau horaire, ici il fait jour de 5h du matin à 18h. Nous partons, planche sous le bras ou calée dans le dos sur les sangles du sac. Nous remontons le sentier au milieu d'un désert de pierres rouges, et assez rapidement Arturo doit se rendre à l'évidence et prendre au sérieux ce que nous lui expliquons depuis hier : nous sommes habitués à la montagne, nous connaissons cet effort. Nous prenons quelques pauses pour permettre à notre guide de boire un coup, son t-shirt est trempé. Drôle de situation, foutus touristes ! En même temps ce n'est pas faute de leur avoir expliqué. Déjà hier, à l'agence touristique qui nous a mis en relation avec Arturo pour la visite de Chauchilla, la gérante nous a mis en garde sur les risques liés à cet itinéraire. J'ai eu beau lui expliquer que j'étais guide de haute montagne, elle a trouvé notre projet imprudent. Avons nous pensé aux multiples personnes qui s'y sont perdues, au grand danger que représente le fait de s'engager seul sur cet itinéraire ? Et puis, peut-être n'y croyons-nous pas, mais il y a aussi les malédictions liées au sommet..."Imaginez un peu s'il vous arrive quelque chose là haut et que personne n'est au courant ! Vous ne vous rendez pas compte, il vous faut prendre un guide qui connaît." Je n'ai pas réussi à discerner complètement si c'était une véritable inquiétude bienveillante pour des touristes qui se seraient sur-estimés, ou une technique de vente en invoquant la sécurité à laquelle tant d'occidentaux sont sensibles. Petite confidence : je penche pour la seconde option.
Cela fait quatre jours que nous faisons du sur place en ville et passons l'essentiel de notre temps assis dans les transports. Nous sommes en montagne, nous avons repris de la hauteur et retrouvé du relief, j'ai retrouvé mes repères et mon élément. Je suis heureux, surexcité, j'ai des fourmis dans les jambes. Je respecte notre guide et ne voudrait surtout pas l’embarrasser. Cela fait quinze minutes que je repousse le moment, ça y est, j'ose lui demander l'autorisation de courir un peu. Permission accordée, comme un clown qui jaillit de sa boîte je m'élance sur le sentier en direction du beau sommet de sable que nous voyons maintenant bien sur notre droite. Béatrice reste avec Arturo, ils montent tranquillement ensemble en discutant.
Nous nous regroupons un peu plus haut, et ça y est, nous mettons pied sur la dune à proprement parler. Le sentier prend sur un plateau à gauche de l'arête, mais je préfère suivre le fil que je trouve bien plus esthétique. Le soleil s'est maintenant levé, et créé un magnifique tableau bicolore, découpé par le fil de l'arête parfaitement dessiné, sur lequel viennent s'inscrire mes traces de pas. Pas de phénomènes d'avalanche dans le sable, les deux versants trouvent leur équilibre à une pente de 40-45°. Une fois mon petit écart fini, j'attends Arturo et Béatrice. J'imagine bien où ils sont, derrière la petite colline de sable, mais ils ne m'ont pas en vue. Béatrice en a l'habitude, mais je pressens qu'Arturo va commencer à s'inquiéter, je suis parti assez longtemps. Je les attends, ils arrivent, j'avais vu juste. Nous repartons ensemble et atteignons le sommet, heureux ! Il est environ 8h, la vue est magnifique sur le désert et les hauts plateaux.
Il est temps d'apprendre à utiliser les sandboard. Celles que nous avons ressemblent à de grands skateboard sans roues. Dessus ont été vissées des fixations en sangle avec des velcros. Il faut frotter le dessous avec de la bougie, pour que par frottement la cire chauffe et fonde, afin que la planche glisse. Je fais quelques essais peu satisfaisants debout sur la planche, tandis que Béa fonce droit dans la pente assise comme sur une luge. Ce n'est vraiment pas similaire au snowboard, je me rabat sur la seconde méthode déjà suffisamment impressionnante ! Arturo connaît bien la descente, il nous guide vers les meilleures pistes, où nous ne rencontrons aucun obstacle, pierre ou végétation. Progressivement les descentes s'allongent, jusqu'à la finale de plus de quatre-cents mètres de dénivelé ! Sur une pente aussi raide, de face, les sensations de vitesse sont bonnes. Nous dévalons la dune, marchons quelques kilomètres à son pied pour rejoindre la route. Le taxi nous récupère, retour à Nazca, ciao Arturo ! Il est midi, nous nous retournons satisfaits en regardant le Cerro Blanco qui domine derrière la ville, sous un soleil brûlant.
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